Viande bovine Une décennie de mutations sur le marché mondial
Le secteur de la viande bovine illustre parfaitement les spécificités et la dimension géostratégique de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire. Il est en proie à des mutations structurelles profondes, tant sur le versant de la production que sur celui de la consommation, dans un contexte de volatilité accrue des prix et des intrants.
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Enclenchée au détour des années 80, la mondialisation semble n’avoir épargné aucun secteur d’activité. L’agriculture et l’industrie agroalimentaire ont été progressivement entraînées par ce processus d’ouverture économique et commerciale.
Dès la signature des Accords de Marrakech en 1994, ce secteur est entré dans une phase de mutations qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Les exportateurs d’hier sont désormais concurrencés, voire supplantés, par de nouveaux concurrents. Le Brésil est ainsi devenu, dans un délai relativement court, le troisième exportateur mondial de produits agricoles et alimentaires et a désormais l’Union européenne dans sa ligne de mire.
Les mutations ont été les plus profondes dans le domaine des viandes. Les échanges mondiaux sont largement dominés par deux acteurs, le Brésil et les Etats-Unis. Le Brésil s’est hissé durant les années 2000 au rang de grand producteur et exportateur de viande bovine et de volaille. Ce positionnement a encouragé les firmes de la transformation brésiliennes à s’implanter dans certaines régions du monde, participant, du même coup, à l’insertion des pays émergents dans l’internationalisation du capital productif. Plus récemment, l’Usda, le Ministère américain de l’Agriculture, a indiqué que l’Inde, pays de la "vache sacrée", était devenue en 2012, le premier exportateur mondial de viande bovine, suscitant au passage l’étonnement. Retour sur une décennie de grande transformation du marché mondial de la viande bovine.
Le recul du Brésil, l’expansion de l’Inde
Comparativement aux autres secteurs animaux, les échanges mondiaux de viande bovine sont parmi les moins dynamiques.
La rédaction de Momagri
Le secteur de la viande bovine illustre parfaitement les spécificités et la dimension géostratégique de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire. Il est en proie à des mutations structurelles profondes, tant sur le versant de la production que sur celui de la consommation, dans un contexte de volatilité accrue des prix et des intrants.
Les tensions qui en résultent sont amenées à perdurer et à croître, du fait des stratégies nationales résolument actives menées par les grands producteurs mondiaux. Ainsi le Brésil et les Etats-Unis dominent aujourd’hui largement les échanges mondiaux dans le domaine des viandes. Mais d’autres grandes puissances agricoles comme l’Inde ne sont pas en reste pour se positionner sur les marchés d’exportation, en devenant, par exemple, le premier exportateur mondial de viande bovine.
Le positionnement de l’UE sur ce secteur dynamique risque d’en être profondément affecté, comme le démontrent Viviane Pons et Thierry Pouch dans un article de la lettre économique des Chambres d’agriculture.
Près de 12 % de la production mondiale de viande bovine sont échangés, soit environ 8 millions de tonnes équivalents carcasses (Tec) en 2011.
Avec plus de 11 millions de Tec en 2012, production en baisse régulière depuis le milieu des années 2000 (plus de 12 millions de Tec en 2008), les Etats-Unis demeurent le premier producteur mondial de viande bovine. Ils devancent le Brésil et le Canada, lesquels ont produit en 2012 respectivement 9,2 et 8,9 millions de Tec. L’UE à 27 est le quatrième producteur mondial avec 7,8 millions de Tec. La production européenne de viande bovine reste toutefois inscrite sur une tendance de baisse, en raison, d’une part de la hausse des coûts de production et, d’autre part de la baisse continuelle des soutiens publics.
L’Inde en revanche poursuit sa progression, enclenchée depuis quelques années. Sa production de viande bovine est en effet passée de 2,5 en 2008 à 3,7 millions de Tec en 2012, et devrait atteindre, en 2013, 4,2 millions de Tec.
C’est sur ce constat qu’il convient de s’attarder, car la croissance de la production indienne exerce un impact sur les courants d’échanges mondiaux.
Ces échanges sont très concentrés. Neuf pays réalisent en effet 85 % des flux commerciaux de viande bovine : Argentine, Australie, Brésil, Canada, Etats-Unis, Inde, Nouvelle-Zélande, Union européenne et Uruguay. Le Brésil a exercé durant plusieurs années un leadership sur les échanges mondiaux de viande bovine. De 2002 à 2010, il a été en effet le premier exportateur mondial, surclassant l’Australie, l’UE à 27, l’Argentine et les Etats-Unis.
Depuis, le poids de ce géant de la viande bovine dans les exportations mondiales a diminué, offrant une opportunité à l’Australie, mais surtout à l’Inde, de se positionner comme de grands acteurs sur les marchés d’exportations. Le recul du Brésil résulte d’un faisceau de facteurs. Le premier est d’ordre sanitaire. Le Brésil a vu se fermer en 2008 le marché européen, à la suite d’une décision prise par la Commission, jugeant que les garanties sanitaires de la viande bovine fournies par ce pays étaient insuffisantes. Ensuite, les flambées successives des prix du soja et du sucre ont incité les agriculteurs brésiliens à consacrer une part de plus en plus grande de leurs surfaces à ce type de cultures, au détriment des viandes. L’impact du taux de change n’a pas été neutre, loin s’en faut. Celui de la devise brésilienne, le real, par rapport à l’euro, a été sous-évalué entre 2005 et 2008, ce qui a favorisé les exportations de viande bovine. Le redressement de la parité monétaire à partir de 2010, entrave depuis lors la compétitivité-prix des exportations brésiliennes.
S’en est suivie pour l’UE à 27 une opportunité pour exporter des bovins vers les pays du pourtour méditerranéen (Liban, Turquie, Algérie) et vers la Russie dans une moindre mesure, subtilisant au passage quelques parts de marché aux brésiliens. Enfin, en tant que pays émergent, le Brésil connaît une élévation du niveau de vie de sa population, laquelle consomme davantage de viande bovine, ponctionnant ainsi une part de la production, jusque-là destinée au marché mondial.
(©Terre-net Média)Comment expliquer que l’Inde soit devenue le premier exportateur mondial de viande bovine, alors que la vache est un animal sacré, dont l’abattage est interdit ?Ces évolutions ont permis à l’Inde, dont la production de viande bovine augmente, de ravir la place de premier exportateur mondial au Brésil. En 2000, les exportations indiennes n’étaient encore que d’environ 300.000 Tec . Elles avaient plus que doublé en 2008 (672.000 Tec), et ont franchi le seuil des 1 million en 2011. En 2012, elles ont atteint 1,7 million de Tec, et devraient se fixer à 2,2 millions en 2013 selon les prévisions de l’Usda. L’Inde pèserait alors en fin d’année près de 25 % des échanges mondiaux de viande bovine. Il faut rappeler que ce pays émergent détient le cheptel bovin le plus élevé du monde, devant celui de la Chine, du Brésil et des Etats-Unis. La dynamique des exportations indiennes de bovins réside aussi dans le fait que la production mondiale ne parvenant plus à répondre à la demande, l’Inde parvient à s’insérer dans les courants d’échanges.
Les bovins abattus sont en réalité des buffles, qui représentent 35 % du cheptel bovin. C’est cette variété de viande bovine qui est en réalité exportée par l’Inde.
De plus, puisqu’il ne s’agit pas d’une viande très consommée par les ménages indiens, l’excédent de production fait l’objet de flux d’exportations sous forme congelée, qui ne cessent de progresser, cela en dépit de nombreuses contraintes sanitaires.
Une demande mondiale qui progresse sous l’impulsion de l’Asie
Pour comprendre les mutations dont fait l’objet le marché de la viande bovine, il faut examiner l’état de la demande mondiale.
Depuis le début des années 2000, plus d’un tiers des disponibilités en viande bovine est absorbé par trois pays seulement : les Etats-Unis, le Japon (près de 60 % des importations de la zone Asie) et la Russie. Ce sont en effet les trois grands importateurs mondiaux de viande bovine. Viennent ensuite des pays comme la Corée du Sud, l’UE à 27, l’Egypte et, plus récemment, la Chine. Enfin la croissance de la demande provient d’autres économies d’Asie (Vietnam, Hong Kong, Malaisie, Philippines…), d’Amérique latine et du Moyen-Orient. En Asie, la demande de viande bovine s’est accrue de quelque 3 % par an durant la décennie 2003-2012.
La croissance de la demande mondiale s’explique à la fois par une élévation des niveaux de vie, poussant les consommateurs à manger davantage de viande rouge, et par une production qui est, dans certains cas, insuffisantes pour couvrir les besoins intérieurs. Depuis le début de la crise, cette demande se porte plutôt sur des produits à faibles coûts, ce qui explique au passage le bon positionnement de la production indienne sur le marché mondial. Les principales destinations des exportations indiennes de buffles sont l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (l’Inde a ainsi démontré sa capacité à répondre à la demande en produits halal), ainsi que le Vietnam, la Malaisie, les Philippines.
Le Brésil quant à lui exporte essentiellement vers la Russie, l’Iran, l’Égypte et la Chine.
Dans la mesure où les prévisions de demande mondiale de viande bovine restent bien orientées (+ 1,8 % par an entre 2012 et 2021 selon la Fao et l’Ocde), les échanges mondiaux sont appelés à rester durablement croissants (+ 1,8 % par an entre 2012 et 2021). L’accès aux marchés intérieurs les plus dynamiques, facilité par une baisse des droits de douane (accords commerciaux), et les moins exposés aux problèmes sanitaires (fièvre aphteuse notamment), constituera un enjeu important pour les principaux producteurs et exportateurs. Il faut donc s’attendre à des rivalités fortes entre les Etats-Unis, le Brésil, l’Australie et l’Inde. Ces quatre pays producteurs – deux économies industrialisées, deux émergentes – se disputeront à tour de rôle le leadership sur le marché mondial de la viande bovine.
La production de viande bovine de l’Union européenne s’inscrit sur une trajectoire à la baisse depuis le début des années 2000 (13 % de la production mondiale en 2011) et ses importations de viande bovine en provenance du Brésil ont doublé entre 2000 et 2006. Elles ont ensuite diminué pour des motifs sanitaires, les achats de viande bovine à l’Argentine et à l’Uruguay ne compensant que partiellement les commandes adressées au Brésil. Les approvisionnements sont assurés par des importations provenant d’Océanie ou des Etats-Unis. Ces importations, qui entrent sur le territoire européen sous forme de « viande et conserves », ont connu une érosion importante depuis 2006, enregistrant même une baisse de 10 % en 2011.
Dans ce contexte de croissance de la demande, il faudra surveiller l’évolution du Brésil, car le décrochage de ce pays dans les exportations mondiales depuis 2008 pourrait bien s’inverser si la production intérieure repartait à la hausse dans les années à venir. Tout dépendra cependant des paramètres sanitaires, de la dynamique de la demande intérieure, de l’évolution des prix des végétaux, et du taux de change du Real. Par contrecoup, la fermeté de la demande mondiale constitue une réelle opportunité pour les productions européennes. L’intensité des échanges internationaux de viande bovine reste toutefois fortement subordonnée à la présence de foyers d’épizooties (fièvre aphteuse, Esb…), ces derniers pouvant dissuader les consommateurs d’acheter ce type de viande, et déséquilibrer les circuits commerciaux – le marché mondial étant très segmenté surtout si les maladies concernent un géant de la production et de l’exportation.
Ces déséquilibres entre l’offre et la demande ont été à l’origine d’une nette remontée des prix, incitant certains pays producteurs à opérer une dynamique de recapitalisation. Dernier aspect à surveiller de très près, la production et la consommation de viande bovine en Chine. La progression régulière de la production chinoise s’est ralentie à partir de 2010, en raison notamment de la désaffection des éleveurs pour cette viande et de la baisse des aides publiques. Si la demande intérieure continue de s’accroître, les importations s’élèveraient nettement. Au regard des volumes importés durant l’année 2012, la Chine pourrait être porteuse d’une nouvelle mutation, côté importateur cette fois.
À court terme, et dans un contexte où la demande mondiale pourrait être moins vigoureuse en raison d’une croissance économique mondiale plus faible qu’annoncée, le facteur clé des performances commerciales des exportateurs reposera largement sur la parité des monnaies. Pour les producteurs de la zone euro, la remontée récente du taux de change de la monnaie unique pourrait être préjudiciable, si elle s’avérait être durable.
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